Un nouveau témoignage vient s’ajouter à cette belle série que j’ai lancé fin 2019. L’idée étant de vous donner une vision réaliste sur l’expatriation au Canada et surtout, un retour d’expérience de profils différents à travers le Canada. Pour ce témoignage, Arnoul, écologue professionnel de la conservation de la nature a voulu traiter le sujet de l’écologie au Canada et comment la perception que l’on peut avoir sur le Canada à ce sujet est bien différente de la réalité.
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Une petite présentation personnelle avant d’attaquer le sujet qui m’intéresse ici. Je m’appelle Arnoul, je viens d’avoir 29 ans, et j’ai passé les deux dernières années en PVT en Colombie-Britannique. J’ai un parcours en pointillé, avec 2-3 retours en France, et beaucoup d’aventures entre les deux. J’ai vécu 2 mois à Vancouver (sans vraiment aimer la ville). J’ai également vécu 2 demi saisons d’hiver à Revelstoke (ville fantastique au passage). Et j’ai surtout passé mes 2 printemps/étés à courir les bois canadiens à la recherche des morilles de feu. Un job pas comme les autres, à vivre 2 mois et demi de l’année en pleine nature. Sinon, j’ai un bagage universitaire et professionnel en écologie et gestion de la biodiversité (en gros, la science derrière la protection des espèces menacées et des espaces naturels). Ce qui m’a amené à me pencher sur la question de l’écologie et de la protection de la nature au Canada. Et ce qui m’amène à rédiger cet article. J’ai souhaité changer un peu la forme du retour d’expérience traditionnel sur ce blog, pour faire un focus plus précis sur la nature canadienne.
J’ai voulu faire ce témoignage car je trouve qu’il existe un fossé important entre l’image « carte postale » hyper marketé qu’on nous vend à l’étranger (et aussi au Canada) d’un pays « vert » et porté sur la protection de la nature, et la réalité derrière ce mythe.
Je préfère vous prévenir tout de suite, je ne vais pas forcément être tendre. Ça peut passer pour du négativisme typiquement français, mais c’est justement parce que je trouve ce pays si beau, que je trouve essentiel d’aller chercher les petits détails peu reluisants. Mettre en avant certains faits, plutôt que de beaux discours en bois. Cela reste bien sûr un point de vue et une opinion. Bien connaitre les rouages de l’écologie me donne une bonne vision d’ensemble, mais ne fait pas de mon avis « parole d’évangile ».
Fraichement arrivé, j’avais encore en tête l’image verte du Canada. Un pays « écolo », avec des espaces naturels intacts à perte de vue. Pourtant, je déchante très vite. Premier point bien connu des expatriés dans l’Ouest canadien, le mode de vie. Des voitures gigantesques, dont quasiment aucune ne consomme moins de 10 L aux 100 km. Des maisons récentes et pourtant extrêmement mal isolées, avec des murs en papier carton et des chauffages électriques géants un peu partout. Clairement, la réduction de l’empreinte carbone ne semble pas encore vraiment une priorité ici. D’ailleurs, le Canada se classe parmi les pires pays au monde (devant les USA, et juste derrière les pays du golfe) dans le classement des émissions de CO2 par habitant (bien que ces classements soient contestables et varient en fonction des données). Au supermarché, même constat. Très difficile de trouver du local ou du bio de bonne qualité. Une grande majorité du bio est plutôt industriel, sous plastique, hors de prix, et provient de Californie ou du Mexique. Le kilométrage moyen par produit s’élève ici à plusieurs milliers de kilomètres. Quant au zéro déchet, même si les initiatives commencent à démarrer, c’est assez en retard. L’image qu’on m’avait vendue, de Vancouver, et du Canada, comme pays super écolo, s’écorne déjà. Sans aller dans tous les détails, on va dire que pour le mode de vie écolo, c’est plutôt raté.
Mais parlons maintenant de la nature, de la faune, de la flore et des espaces sauvages, ma spécialité. Il avait encore de la place pour le doute de ce point de vue. Ayant eu une enfance bercée par les récits de Jack London ou de Bernard Clavel, des DVD de Nicolas Vanier, j’imaginais ces grands espaces sauvages et vierges à perte de vue. Les campagnes de cueillette de morilles m’ont permis d’aller dans des endroits reculés et sauvages. Dans les montagnes de la chaine du pacifique, perdu entre Williams Lake et Bella Coola. Dans les rocheuses du secteur de Jasper. Sur le plateau intérieur au nord de Prince Georges. Au Yukon. Et partout, malgré la beauté des lieux, l’impact industriel de l’homme est présent. A plusieurs heures de piste de la moindre route goudronnée, les coupes claires de plusieurs dizaines d’hectares balafrent le paysage. Des camions de bois chargés de dizaines de tonnes foncent sur les pistes forestières à pleine vitesse, avec des arbres à peine à maturité sur la remorque. Une proportion très faible de la forêt échappe à l’industrie. En fait, l’immense majorité des forêts a été exploitée au moins une fois (tour de force industriel tout de même, quand on a une forêt qui recouvre au moins la surface de l’Europe). Si vous voulez en savoir plus sur le sujet, je vous invite à aller voir le documentaire « l’erreur boréale » du célèbre chanteur Québécois Richard Desjardins (disponible sur youtube). Ou les nombreux articles du journal d’investigation « The Narwal » dont certains traitent de la gestion forestière. Les vieilles forêts, avec leurs arbres plusieurs fois centenaires, qui constituent des joyaux de biodiversité à l’échelle mondiale, ne disposent en général pas de statut de protection. Ce qui fait qu’on abat encore en 2020 les derniers géants encore debout, sans trop de protestations, pour être exportés en grume vers l’Asie, ou découpés en parquet. Globalement, on pourrait faire le même constat avec l’industrie minière ou pétrolière, qui bénéficie de passe-droit à détruire et polluer, en général sans payer la facture de réhabilitation à la fin.
Pour ce qui est de la protection de la biodiversité et des espaces sauvages, là aussi le retard est patent. Le Canada est le pays du G7, et probablement du G20, avec le plus faible pourcentage d’espaces protégés sur son territoire. Aux alentours de 10 % de sa surface totale, quand les objectifs minimums des Nations Unis sont de 17 %, contre environ 30 % en France ou dans d’autres pays d’Europe. C’est d’autant plus inexcusable que le pays dispose de surfaces gigantesques avec des densités de populations extrêmement faibles, où il aurait été relativement « facile » d’implanter des espaces protégés. La règlementation sur la protection des espèces est apparue très tard (dans les années 2000), et relativement peu d’espèces animales ou végétales bénéficient effectivement d’une protection réglementaire concrète. Relativement peu de programmes scientifiques semblent être menés sur de nombreux groupes d’espèces moins iconiques que les grands mammifères (chauves-souris, insectes, amphibiens, etc…). Pour les espèces iconiques particulièrement menacées, on peut prendre l’exemple du Caribou de forêt (Rangifer tarandus caribou) dans le sud de la Colombie-Britannique, dont la plupart des hardes s’éteignent successivement, principalement à cause de la disparition de leur habitat (vieilles forêts matures). Ou l’exemple du saumon Sockeye (Oncorhynchus nerka) à Tofino, dont les populations sont notamment menacées par un virus amené dans ces eaux par les élevages intensifs de Saumon atlantique. Ou la très médiatique population menacée des Orques résident du sud de l’île de Vancouver, impactée elle-aussi par la raréfaction des populations de saumons, plus particulièrement le Chinook (Oncorhynchus tshawytscha) dans ce cas.
Je pourrais probablement continuer longtemps à évoquer les espèces qui disparaissent, ou citer des articles de journaux sur des coupes rases dans des forêts anciennes. Mais premièrement, il est bien évidemment plus facile de se poser en inspecteur des travaux finis que des chercher à expliquer et comprendre. Et pour être juste, il convient aussi de rappeler que bien que le bilan ne semble pas bien brillant de ce côté de l’atlantique, les canadiens n’ont bien évidemment pas le monopole de la destruction de la nature. Les espèces disparaissent à un rythme effréné côté européen également. Probablement pour des raisons culturelles différentes, mais elles disparaissent tout autant.
Les raisons culturelles, justement. Je pense qu’une partie du rapport des canadiens (ou au moins de leur gouvernement) à la nature et sa gestion s’explique par des raisons culturelles. L’esprit pionnier tout d’abord. Qui n’a probablement pas fait que du bien à la construction de ce pays, et qui laisse surement des marques dans l’imaginaire collectif. Ce sentiment que cet immense territoire quasiment vierge fut donné aux colons européens par dieu, pour être exploité autant que se peut. Bien que l’influence divine ait probablement régressée à l’heure actuelle dans cette idée collective, il existe probablement encore ce sentiment de liberté d’exploiter sans concession la nature de ce territoire nord-américain. L’immense superficie de ce dernier donne également le sentiment trompeur qu’il est sans limites, et que l’exploitation n’aura finalement que peu d’impacts. Cela s’est révélé être faux par bien des aspects, et l’homme en a touché les limites dès les premières révolutions industrielles.
L’industrie également, explique une partie de ce rapport à la nature. L’économie canadienne tout entière, et donc une grosse partie de sa société, s’est construite autour de l’exploitation des ressources (minières, forestières, pétrolières, élevage, agriculture vite tournée vers l’intensif…). Il est donc bien difficile de remettre en cause le mode de vie (et de subsistance) d’une grande partie de la population.
Enfin, la culture nord-américaine très imprégnée de « l’american way of life », consumériste et ultra libérale, ajoute vraisemblablement un dernier frein à des politiques de préservation ambitieuses.
Pour autant, tout n’est pas noir dans ce tableau que je décris. J’aime rappeler qu’il est tout de même bien plus facile de critiquer que de chercher les points positifs, et il y en a. Les parcs nationaux, qui servent parfois un peu trop de vitrine et de faire-valoir, restent tout de même de beaux exemples de conservation, avec des surfaces importantes de nature préservée. Et des programmes scientifiques de protection de certaines espèces plutôt réussis. Le parc national de Revelstoke par exemple, fut créé en 1914, une bonne cinquantaine d’années avant le premier parc national français, celui de la Vanoise.
Le Canada a aussi une histoire écologiste importante, avec des grandes batailles, et de grandes victoires. Des premières nations qui se soulèvent contre l’exploitation de leur territoire, de façon spectaculaire. Une gestion de certaines populations de salmonidés exemplaire. Des hommes et des femmes qui se battent tous les jours de leur vie pour préserver la nature qui les entoure. Des journaux comme « The Narwal », ou « Besides », qui mettent en avant l’écologie et la protection de la nature. Des exemples sans fin d’individus qui ont choisis de vivre loin de la civilisation, en respectant leur environnement.
Et puis, ce pays dispose tout même encore de ces espaces gigantesques, bien que parfois altérés, où l’on peut encore se perdre réellement. Des lacs emplis de poissons. Des massifs forestiers et montagneux vierges de tout développement urbain. Ou la fréquentation se compte en quelques dizaines d’individus. C’est un luxe incroyable, que de pouvoir camper et s’évader à peu près n’importe où. D’observer avec facilité une grande faune en densité importante, dont les densités n’auront jamais d’égal en Europe. De disposer d’espaces sans limite pour cueillir champignons, fruits, plantes, et entrer réellement en contact avec ces paysages.
J’ai le cœur qui se brise quand j’essaie d’imaginer la nature phénoménale qui recouvrait cette terre autrefois. Et ce que ne sera jamais plus le Canada. Mais c’est parce qu’il reste encore des trésors à préserver, et de la beauté dans ce pays, que l’on se doit d’être critique. D’être exigeants. On peut alors se retrousser les manches, et garder notre espoir en bandoulière.
Pour terminer ce témoignage, j’avais envie de citer Aldo Léopold, forestier et l’un des initiateurs de la pensée écologiste américaine, qui s’est battu pour préserver la nature sauvage.
« Il y a des gens qui peuvent se passer des êtres sauvages et d’autres qui ne le peuvent pas. Ces essais sont les délices et les dilemmes de quelqu’un qui ne le peut pas. Tout comme le vent et les couchers de soleil, les êtres sauvages faisaient partie du décor jusqu’à ce que le progrès se mette à les supprimer. Nous sommes maintenant confrontés à la question de savoir si un “niveau de vie” encore plus élevé justifie son prix en êtres sauvages, naturels et libres. Pour nous, minorité, la possibilité de voir des oies est plus importante que la télévision, et la possibilité de trouver une pasque est un droit aussi inaliénable que la liberté d’expression. »
« L’homme assassine toujours ce qu’il aime; ainsi nous, les pionniers, nous avons tué notre nature sauvage. Certains disent que c’était nécessaire. Peut-être, mais je suis heureux de ne pas devoir être jeune à une époque où il n’y a plus de nature où profiter de sa jeunesse. À quoi bon la Liberté, sans espace vide sur la carte ? »
Je tiens à remercier énormément Arnoul qui a prit le temps de partager son histoire avec nous. Je vous invite à le suivre sur son compte Instagram. Si vous souhaitez à votre tour témoigner et rejoindre cette belle série de témoignage, n’hésitez pas à m’envoyer un message en privé sur mon Instagram. À très vite pour un prochain témoignage d’expatrié français !
Ferdy ♡